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La Thaïlande du Nord

   Nous quittons Bangkok à bord du train de nuit en direction du Nord à la recherche d’architectures traditionnelles. A notre réveil, nous découvrons à travers la fenêtre de notre wagon, d’immenses étendues verdoyantes reflétant le soleil levant. Ces rizières inondées d’eau et parsemées de petites taches blanches qui survolent ce décor en le rasant, les aigrettes nous accompagnent jusqu’à l’entrée de Chiang Mai.

 

 

   Cette région du pays est montagneuse, elle est le berceau du peuple Thai. Ici sont venus s’installer les ethnies montagnardes tels que les Akkha et les Hmong, venus du sud de la Chine. Le bambou y est un matériau utilisé quotidiennement pour le mobilier, les instruments de musique et de pêche, les paniers, les baguettes ou encore sous forme alimentaire. Il souffre néanmoins d’une mauvaise image dans la construction, il est synonyme de provisoire et de pauvreté. Chaque famille s’enrichissant, construit en bois, et lorsqu’elle en a les moyens, remplace le bambou par la brique de béton couvert d’une tôle d’acier ; un système constructif symbole de longévité et de richesse mais très mal adapté à cette région tropicale.

 

 

   Aux alentours de la ville, nous rencontrons Markus, un médecin australien ayant depuis très jeune l’amour de la construction. Il y a 5 ans, il décida de changer radicalement de profession se dédiant à ce matériau ignoré de la filière constructive actuelle. La mise en œuvre de ses constructions répond de manière très cartésienne aux caractéristiques climatiques de la région où il fait plus de 40° en journée: les murs en adobe montés sur un fin maillage de bambou apportent de l’inertie au bâtiment, tandis que la majestueuse toiture en bambou et en chaume reprenant souvent des formes animales, vient protéger du soleil et de la pluie le bâtiment. A l’intérieur du bureau de Markus, nous ne percevons pas le bourdonnement du climatiseur ou du ventilateur, les grandes fenêtres à pivot central sont ouvertes sur l’extérieur, laissant passer une fine brise tandis que les murs et le sol diffusent naturellement la fraicheur, il y fait bon vivre. Par son discours, son architecture semble évidente, et lorsque nous l’expérimentons, nous devons bien reconnaître son efficacité fonctionnelle. Cette rencontre fut captivante et nous laisse longuement pensifs.

   Le jour suivant, nous partons pour l’Université de Chiang Mai regroupant les principaux théoriciens architecturaux du Nord du pays. Nous y rencontrons Rawiwan, elle a parcouru pendant 10 ans les différentes régions de l’Asie du Sud Est, répertoriant minutieusement les maisons traditionnelles qu’elle rencontra. Elle nous explique que dans ces régions tropicales où les caractéristiques territoriales sont relativement homogènes, les maisons sont attachées aux besoins agraires et aux valeurs pacifistes. L’architecture y a des formes variées nées des croyances et cultures des différentes tribus émigrantes des pays frontaliers. Mais malgré cette diversité, les constructions s’adaptent toujours aux pluies souvent torrentielles, au besoin d’ombre, et à une importante ventilation naturelle.

 

 

Elle nous explique aussi, que toutes les générations vivent ensemble au sein d’un même habitat, de la grand mère à l’arrière petit fils. Ce besoin de vivre, manger, dormir ensemble, s’est matérialisé par un plan libre, lui même dessiné et orienté par les croyances géomanciennes inhérentes à chaque culture. Elle nous conseille pour expérimenter ses propos de monter plus au Nord, d’aller voir des exemples d’architecture tribale des peuples du triangle d’or.

 

 

 

   Nous empruntons donc une multitude de bus et TukTuk pour rejoindre la ville de Mae Salong. Le voyage se complique à la tombée du jour, lorsque nous ne trouvons aucun moyen pour parcourir les 60 derniers kilomètres nous séparant de ce village montagnard chinois. Après un long moment passé le pouce en l’air sous l’incompréhension et les rires des locaux , des militaires nous font finalement grimper à l’arrière de leur pick-up, et nous emmènent jusqu'à un check point empêchant les divers trafics de cette région très touchée par l’opium. Un autre militaire nous fait asseoir sur des chaises en plastique sur le bas coté de la route. Quelques minutes plus tard, il arrête une voiture la main levée, il discute avec le jeune couple occupant la voiture et nous ordonne de vite monter à l’arrière. Nous montons à toute allure dans le pick-up, remerciant les mains jointes, le militaire de son aide précieuse. Le soleil se couchant, nous découvrons sur la route les formations rocheuses en pains de sucre couvert de jungle dense et les flancs des montagnes où se sont installées les plantations de thés. Après avoir passé un long moment dans le milieu urbain, nous sommes ravis de pouvoir enfin apprécier ces verts paysages.

 

 

   Le lendemain, nous rencontrons Aurelio puis Yee qui nous invitent à déguster le thé de la région dans l’échoppe familiale. Ils sont tous les deux très intéressés par l’architecture et les manières de vivre, et souhaitent se joindre à nous dans notre recherche de village Akha. Nous partons donc sur les petites routes sinueuses de cette région à la recherche du village de Panasawan. A notre arrivée nous découvrons une grande bâtisse, un immense toit de chaume brun venant couvrir de fins pilotis posés au sol. Une dame âgée vêtue d’une tunique bleu indigo, portant des bracelets aux tibias et une coiffe ornée de boules en argent nous invite à entrer. Elle nous fait asseoir sur de minuscules tabourets en bois composant l’unique mobilier de la maison familiale et s’installe tranquillement sur sa paillasse en fumant sa longue pipe en bois. Son petit fils Nallin de 7 ans nous traduit en thaïlandais le dialecte Akha de sa grand-mère, Yee nous fait ensuite la traduction en anglais. Au cours de cet échange particulier, la grand-mère nous explique dans la pénombre, qu’elle dort ici avec ses deux petits fils tandis que son mari dort dans la pièce d’à coté avec un autre enfant. Le reste de la famille vit en dehors de la maison, dans de minuscules maisons en bambou construites tout autour de celle-ci. La maison de cette grand-mère est la maison centrale où se réunissent tous les membres de la famille. Elle fut construite en une seule journée par tous les membres du village sans clou ni instruments de mesure. Ils utilisent leurs corps comme unité de mesure et font des assemblages en bois et en corde tressée. Au cours de cette discussion, nous observons au dessus de nos têtes les hirondelles venant se nicher dans le chaume… sous nos pieds, nous apercevons entre les lattes du plancher de petits porcs noirs dormir sous la maison ainsi qu’une poule et ses poussins, toutes leurs richesses sont ainsi gardées auprès d’eux.  

 

 

 

 

   En sortant de cette maison, déboussolés par cette formidable rencontre et cette manière de vivre si éloignée de nos visions occidentales, nous comprenons à quel point cette architecture est inscrite dans son territoire et dans la culture Akha; Elle intègre les valeurs de cette société vivant de manière humble et modeste au sein de ces montagnes, sans accessoires ni superflues. Nous passons encore un dernier moment avec Nallin et ses frères avant de reprendre la route en direction du Laos. Le jour d’après, nous embarquons sur le mythique fleuve du Mékong en direction de la ville que certains appellent « la perle de l’Asie », Luang Prabang.

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