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Les Habitants du Lac - Le Tonlé Sap //

     Vendredi 18 avril Nous suivons le fleuve du Mékong depuis maintenant 1500 kilomètres et passons la frontière du Cambodge. Le « cœur du Cambodge » comme certains l’appellent, c’est le Tonlé Sap. Un immense lac situé au centre du pays dont le niveau et la superficie sont intimement liés aux eaux du Mékong. En période de crue, lorsque le Mékong est au plus haut, le cours de la rivière s’inverse et inonde le Tonlé Sap en triplant sa superficie. Ce phénomène hydrologique unique au monde apporte toute la richesse à cette région. Ces abondances ont motivé l’afflux de milliers de personnes vivant aujourd’hui sur le lac dans des formes architecturales surprenantes. Cet incroyable contexte où l’homme est venu habiter, a également égayé notre curiosité.

 

 

     Nous quittons les 4000 Îles du Laos en direction de ce fameux lac en autostop. Après avoir grimpé à l’arrière de pick-up, escaladé les bennes de camions, et réalisé les 50 derniers kilomètres de la journée serrés à 8 dans une voiture de police, nous nous approchons de la ville de Siem Reap, bordant le lac en son extrémité Nord. À 200 kilomètres de notre objectif, nous nous retrouvons bloqués dans un minuscule village à la tombée de la nuit. En plein désarroi et assis au bord de la route à tenter d’arrêter les dernières voitures quittant le village, Kim Hak, un jeune père de famille nous aborde et nous propose son hospitalité. Sa maison est perchée sur des pilotis, à 5 m de haut; il vit ici modestement avec sa femme et ses deux enfants. Nous passons un long moment à échanger sur nos cultures respectives en mangeant un poisson grillé du Mékong accompagné de mangues et de riz. Nous avons eu au cours de cette soirée, un bel aperçu de la générosité et de l’hospitalité des khmers. Nous nous couchons, touchés par cette rencontre et exténués par notre journée, sur le lit en bois que sa femme nous a préparé.

 

Le matin nous partons aux aurores rejoindre Siem Reap. En arrivant là bas, il nous est impossible de ne pas visiter le site d’Angkor. Le lever de soleil sur cette cité perdue presque millénaire, et son architecture enlacée par des racines d’arbres centenaires nous montre l’incroyable ingéniosité, la grandeur, et la beauté de cette civilisation.

     Les jours suivants, nous nous efforçons de trouver des spécialistes et experts pouvant nous raconter les enjeux de notre sujet : habiter avec l’eau sur le Tonlé Sap. S’amorce ici une longue recherche à travers toute la ville: nous téléphonons en Corse à la directrice d’une association s’occupant de la préservation du Lac, qui nous donne le numéro d’un architecte basé à Siem Reap. Cette personne nous conseille de joindre un autre architecte à Bangkok ayant travaillé sur le lac. Ce dernier nous redirige ensuite vers une jeune australienne nous donnant le numéro de Borey, un khmer ayant grandi sur le lac et donnant son aide aux organisations s’occupant de la préservation de ce lieu. Enfin ! Nous avons trouvé notre homme et partons avec lui deux jours plus tard découvrir le Lac. Cette recherche fut longue mais enrichissante, elle nous a permis entre autres, de rencontrer un linguiste à la retraite ayant passé sa vie dans différentes tribus d’Asie du Sud Est et parlant pas moins d’une soixantaine de dialectes. Il nous invita chez lui et nous donna de précieux conseils concernant les architectures des tribus qu’il connaît bien et que nous rencontrerons plus tard notamment au Vietnam et en Malaisie.

 

 

     Nous partons donc le surlendemain pour Kompong Khleang, un village aux abords du Lac, accompagné de Borey. Nous arrivons par la route principale formée par une sorte de digue en hauteur où se sont installées de part et d’autre de la pente, d‘étranges maisons sur une forêt de pilotis extrêmement hauts et fins. La densité de ces maisons d’une largeur de 4 mètres environ et avoisinant les 30 mètres de longueur ne nous permet pas encore d’apercevoir le Lac. Une ambiance de Far West règne dans cette ville aride. Nous sentons tout de même le lac proche; il ne suffit que de s’approcher de la pente pour entendre ses eaux et voir les premiers pilotis des maisons immergées. Borey nous explique que l’eau atteindra, à la saison des pluies, les planchers de ces maisons. Il nous faut donc imaginer, non sans difficultés, que l’eau située aujourd’hui 4 mètres en contrebas de la route montera 4 mètres au dessus de nos têtes.

 

 

Quelle stupéfiante métamorphose d’un milieu et de son ambiance !

 

 

     Dans quelques mois, les motos seront rangées dans les maisons et les habitants de ce village ne se déplaceront plus qu’en barque et à la nage. Pour l’heure, l’espace sous les maisons offre aux familles un nouveau séjour à l’ombre du soleil; elles y installent provisoirement leur cuisine ainsi que des hamacs pour faire la sieste.

 

 

     Borey nous amène ensuite en bateau cette fois, rejoindre le centre du Lac où certaines communautés s’y sont apparemment installées. Nous y voilà, le Tonlé Sap sous nos yeux ! Nous avons parcouru tant de kilomètres pour pouvoir enfin l’aborder et l’étudier. Au loin, nous apercevons un groupement de maisons apparaissant au milieu de nulle-part comme un mirage. Dans cet espace où le seul repère existant est la ligne d’horizon séparant ces eaux calmes et le ciel, nous nous sentons déroutés et avons du mal à imaginer que ce lieu est la scène de leurs vies quotidiennes. Pour ces communautés, la notion d’habiter n’est pas celle d’avoir des repères visuels autour de chez soi, comme un boulevard, un édifice reconnaissable, le nom d’une rue et ses pavés, où encore l’odeur d’un arbre fruitier voisin qui font partie intégrante de notre conception de rentrer chez soi. Pour elles cette notion est celle de vivre dans un territoire semblant indéfinissable et immuable. Elles s’y sont installées sous deux formes : on trouve la maison traditionnelle flottante posée sur des radeaux en bambous et les habitats des communautés vietnamiennes. Ces derniers sont de petites maisons-bateaux venues depuis le Vietnam par le Mékong. Les richesses du Lac ont attiré cette communauté il y a quelques décennies. Leurs maisons viennent ici s’adapter aux contraintes du territoire en étant déplacées chaque année lorsque les eaux deviennent trop capricieuses ou bien que le poisson se fait rare. Dans l’immensité de ce paysage, nous assistons au théâtre de la comédie humaine en observant les écoles, marchés et petites échoppes voguer au fil des eaux.

 

 

    Il est passionnant de rencontrer ces peuples s’étant installés dans un milieu si particulier pour assurer leur subsistance en modifiant de manière profonde leurs modes de vie.

 

 

    Mais Borey nous raconte aussi l’envers du décor. Derrière ces magnifiques paysages et l’extraordinaire faculté de l’homme à s’être adapté à un milieu si singulier, certains problèmes émergent et menacent la vie sur le lac. La surpêche de groupes industriels, le déboisement aux alentours, ainsi que la construction de barrages sur le Mékong influençant le cycle naturel de montée des eaux en sont la cause. Sa classification au patrimoine de l’Unesco ainsi que le travail  de certaines associations, ont permis quelques améliorations et réglementations. Nous quittons ces lieux déboussolés par cette incroyable façon d’habiter et espérant que cette diversité et ses peuples perdureront dans le temps.

 

 

 

    

 

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